MMKS est le pseudo de l’artiste Michelle SCHNEIDER qui vit à L’Escalier et anime le lieu. Elle y accueille du public en y proposant différentes animations : un Jardin Remarquable, une galerie d’art, une boutique de céramiques, une table d’hôtes.

MMKS raconte son parcours artistique

Mon parcours atypique s’est effectué en-dehors des écoles diplômantes. Mes apprentissages se sont succédés au fil des nécessités intérieures qui les ont motivés. Ce long cheminement a façonné ce que je suis aujourd’hui et l’environnement dans lequel je m’exprime.

Depuis très jeune, j’aspire à être peintre. Mon milieu familial était stimulant mais il n’était pas envisageable, à l’époque, d’entreprendre des études d’art. Mon père m’a orientée vers l’enseignement, option plus conforme à sa vision pour mon avenir.

Lors d’un stage dans ma formation professionnelle d’enseignante, je découvre la danse contemporaine. Je m’y engouffre à 200 %, cela correspondait à mon énergie de l’époque. Je me disais que que je peindrai quand je ne pourrai plus danser. Après une dizaine  d’années comme élève dans un atelier de chorégraphie, de nombreux stages, quelques créations, des participations à des spectacles et aussi des cours dispensés dans une association, je commence à avoir une maturité en danse.

C’est dans les années 80 que la peinture s’impose à moi. J’assiste au miracle de la naissance d’une feuille de papier. Je suis fascinée. Du coup j’en ai fabriquées, avec de l’euphorbe, des poireaux ou des orties de mon jardin, mais aussi avec toutes sortes de vieux papiers. Déjà inscrites de signes en attente, ces feuilles m’impressionnaient. Il m’était impossible d’y laisser la moindre trace. 

Un jour, on m’offre un fond de bobine de macule, ce papier grossier, utilisé par les industriels pour fabriquer le carton ondulé. C’est ce papier qui m’a permis de trouver une cohérence dans mon travail plastique – confidentiel jusqu’alors parce que constitué de productions disparates –  et, du coup, de commencer à présenter mes oeuvres à un public. 

Mon rêve d’être peintre se réalise, mais ce sera au détriment de la danse que j’abandonne douloureusement, ne pouvant mener les deux de front.

Dans le même mouvement, ma salle de danse, assez spacieuse, va se muer en galerie d’art : la Galerie de L’Escalier. Dans le cadre d’une structure associative – l’association de L’Escalier dont je suis présidente – nous y avons accueilli une cinquantaine d’expositions d’artistes de renom, mais aussi des concerts, des performances, de la danse, des résidences d’artistes, des dîners gastronomiques… Des ateliers venaient compléter certains événements parce que j’avais à coeur de faire vivre des expériences de création à toutes sortes de publics, souvent, d’ailleurs, au détriment de ma propre création.

Après une vingtaine d’années d’enseignement et de direction d’école, je devient conseillère pédagogique en arts plastique rattachée à l’Inspection Académique du Bas-Rhin. J’introduis des artistes et des oeuvres du FRAC Alsace dans les écoles de mon secteur, crée des liens entre le milieu scolaire et les musées, pilote des projets d’envergure pour amener l’art et des artistes dans le milieu scolaire. J’assure également un poste de commissaire d’exposition pour le Relais Culturel de la Ville de Haguenau et finis par enseigner les arts plastiques aux étudiants en architecture à l’INSA. 

Je suis totalement immergée dans l’art, ma vie est riche de rencontres, d’effervescence créatrice. Je me réalise totalement avec, de surcroit, l’adhésion d’un mari qui, malgré la lourde charge d’une entreprise, mène lui-même un travail de sculpteur et de comédien.

Mon parcours de jardinière

Mon premier « vrai jardin » date de l’année de mon mariage. Au début, je n’ai cessé de défricher, déplaçant ma parcelle au gré des acquisitions de terrain.

Dans la mouvance écologique des années 70, je découvre la culture biologique, la bio-dynamie, et lis autant de livres que j’arrache de chiendent dans les plates-bandes envahies d’herbes folles.

Après la période de découverte, enthousiasmante, vient celle du rendement et de l’habitude : produire beaucoup (parfois trop), engranger. Sur dimensionné, purement utilitaire, le potager en lanières devient vite une corvée. Pendant des périodes créatives à l’atelier, je le délaisse complètement.

Tiraillée entre le jardin et l’atelier de peinture, l’idée m’effleure d’abandonner cette terre si durement conquise. Mais comment imaginer un printemps sans guetter la première levée de ciboulette ou la percée des jonquilles ? Ce sera donc l’atelier que je déserterai, le temps de faire du jardin une « œuvre ». Dès lors, il devenait aussi évident de l’ouvrir au public, notamment lors de journées nationales comme les « Rendez-vous Aux Jardins » et les « Journées du Patrimoine ».

En 1999 et 2001 j’étends cette expérience de création paysagère dans des festivals de jardins éphémères, le premier au Luxembourg, sur un parcours transfrontalier « Jardins à suivre… » et le deuxième au Festival de Chaumont sur Loire, en équipe avec Marc Félix et Jean-Louis Cura.

Rupture

En 2005, le décès brutal de mon mari fait basculer ma vie.

Les biens communs, construits ensemble, deviennent une charge trop lourde à porter. Le jardin qui était le cadre de nos fêtes perd son sens, je n’ai plus l’énergie de m’en occuper. Je suis en panne totale dans mon travail de peintre. L’ensemble du site de L’Escalier reflète la désolation.

Rebond

Le rebond s’est fait en 2007 grâce à la présence d’un jeune architecte, Dimitri Messu, que j’accueillais pour un travail de recherche dans le cadre de son diplôme. Son sujet : «  Cessation d’activité, reprise d’action » reflétait exactement ce qui se passait sur mon site. Je venais de clôturer l’entreprise de menuiserie de mon mari.

Le site de l’Escalier, en pleine mutation, devint le terrain privilégié pour la réflexion qu’il menait sur les outils, les modes d’expression et les modes de production de l’architecture. Comment conserver le lieu dans son potentiel, comment utiliser ce potentiel pour en faire le ferment du projet architectural à venir ? 

J’ai été contaminée par l’énergie qu’il a déployé en faisant l’inventaire de l’existant, en déblayant, en récupérant les rebuts de chantier pour réaliser une installation in situ. J’ai recommencé à gratter ma terre, mon jardin m’a sortie d’une impasse.

La même année je suis prête à rebondir et j’obtiens le label « Jardin Remarquable »  dans la foulée du rebond. J’ai à nouveau l’énergie de faire prospérer ce site plein de potentiel en le partageant avec un public.

Dès 2008, je m’inscris dans un circuit d’une cinquantaine de jardins ouverts à la visite en Alsace, médiatisé par une brochure largement diffusée soutenue par la Région Alsace puis par la Région Grand Est. De début mai à fin septembre mon site est fréquenté par 1 500 à 1 600 personnes par an : familles, individuels et groupes. Il est aussi investi par les hôtes de mes hébergements qui viennent s’y ressourcer. Il recommence à vivre. 

Le regard des visiteurs, les temps forts que certains y vivent, les événements qui s’y déroulent, lui confèrent une charge qui s’amplifie au fil du temps. Les visiteurs en sortent changés, le regard ébloui. De plus en plus de séminaires se déroulent dans cet environnement porteur. Le jardin est au coeur du projet de L’Escalier. Non seulement il me permet de cultiver les légumes que je transforme à ma table d’hôtes, mais aussi ce que nous avons de plus précieux : la relation à nous-mêmes, la relation à la beauté, la relation à l’autre.

Mon parcours de cuisinière

Très tôt je suis devant les fourneaux, initiée par ma mère qui enseignait la cuisine dans une école ménagère. Auprès d’elle, j’ai fait mes classes dans l’esprit d’une table bourgeoise. Chez nous la cuisine c’était joyeux, généreux, expérimental, créatif, central et partagé. 

Dans les années 80, à la faveur d’une lecture, je découvre le Shojin Ryôri (cuisine végétarienne) des monastères zen japonais. Un choc. J’ai le sentiment très fort « de retomber sur mes pieds, d’être enfin chez moi ». Je ne comprendrai que bien plus tard le sens profond de ces mots qui ont traversé mon esprit : je venais de cristalliser le Japon en moi.

J’opère un changement de cap radical et m’engouffre à fond dans l’apprentissage de ce nouvel équilibre alimentaire. J’acquiers les outils, les gestes, les techniques de cuisson et aussi des principes de la dialectique taoïste qui sous-tendent cette façon de se nourrir. Un monde immense s’ouvre à moi. En mangeant au quotidien cette nourriture faite pour élever le corps et l’esprit, je me transforme petit à petit. En abandonnant la cuisine transmise par ma mère j’ai le sentiment de devenir moi-même.

C’est cette cuisine, mise aujourd’hui au rang d' »oeuvre », que j’ai le plaisir de partager à la Table de L’Escalier.