Une petite sélection de textes

Le potager de L’Escalier se raconte

L’esprit du potager biologique

Le potager, conçu comme un jardin d’agrément, est d’inspiration médiévale. Il se compose de fascines surélevées en lames de métal tressées. Les légumes cultivés selon les principes de la culture biologique et de la permaculture se mélangent par affinité et cohabitent avec des fleurs. La terre est remuée le moins possible et toujours couverte avec des tontes de gazon, des déchets de taille broyés, des feuilles mortes selon la saison. La verdure des légumes récoltés est laissée sur place. Un grand soin est mis à l’aire de compostage. Elle est entourée de  d’arbres réputés pour faciliter la décomposition (sureau, bouleau, noisetier). Les déchets de taille trop gros pour être broyés sont accumulés autour de l’aire de compostage et forment un muret de séparation avec l’Agora. Ils peuvent servir d’abri à d’éventuels hérissons ou autres bestioles faisant partie de l’écosystème.

Les éléments structurels du potager

Une cabane surélevée baptisée « l’observatoire » offre un point de vue surélevé qui permet de lire le dessin des plantations. Des jardinières d’aromatiques en bois s’appuient sur une structure articulée avec une petite serre. Elles ferment le potager côté Est.

Dans la partie haute du potager, une tonnelle en métal recouverte de rosiers rampants, côtoie à l’Ouest une plate bande de fleurs vivaces et au Sud une bordure de cactées en pots montés sur des tiges filetées. Le « jardinet » édifié tout près est un petit écosystème en soi. Truffé d’abris à insectes, il contient aussi deux minuscules bassins où il est fréquent d’observer des grenouilles posées sur des feuilles de nénuphars.

Vers l’Est, sur toute la longueur du potager, un structure en bois sert de lien entre la cabane de jardin, la petite serre et les jardinières aromatiques, protégées du vent du Nord par des cloisons en brande de bruyère.

Au bout du potager,  un bassin rectangulaire crée une rupture visuelle avant de pénétrer dans le verger. Il est souligné par une pergola vêtue de pieds de vigne et sous laquelle s’épanouissent yucca et gunnera  ainsi que des fougères comestibles. Sous l’ombre portée de cette structure en bois, deux bains de soleil font face aux nénuphars et aux fontaines qui déversent leur murmure sur un lit de pierre.

Genèse du Jardin de L’Escalier

Petite déjà je traînais dans le jardin de mon grand-père qui m’avait réservé un carré pour mes semis au bord de sa parcelle. J’avais même réussi à y faire pousser un pêcher en y plantant le noyau du fruit dégusté.

Mon premier « vrai jardin » date de l’année de mon mariage. Depuis, je n’ai cessé de défricher, déplaçant ma parcelle au gré des acquisitions de terrain.

Dans la mouvance des mouvements écologiques des années 70, je découvre la culture biologique, la méthode bio-dynamique, et lis autant de livres que j’arrache de chiendent dans les plates-bandes envahies d’herbes folles.

Après la période de découverte, enthousiasmante, vient celle du rendement et de l’habitude : produire beaucoup (parfois trop), engranger. Sur dimensionné, purement utilitaire, le potager dessiné en lanières devient vite une corvée. Pendant des périodes créatives à l’atelier, je le délaisse complètement.

Tiraillée entre le jardin et l’atelier de peinture, l’idée m’effleure d’abandonner cette terre si durement conquise. Mais comment imaginer un printemps sans guetter la première levée de ciboulette ou la percée des jonquilles ? Ce sera donc l’atelier que je déserterai, le temps de faire du jardin une « œuvre ».

Je passe le début de l’été 1997 à ébaucher des plans, sans cesse remis en question. Je butte sur l’incapacité d’avoir un regard neuf sur un espace banalisé par l’habitude et dont je ne sais plus discerner ni les qualités ni les défauts. Je désespère de trouver le génie du lieu.

Un matin, bravant l’interdit municipal et celui du mari menuisier qui craint pour son stock de bois, je démarre un grand feu pour me débarrasser de chutes de taille. Ce brasier, que je surveille jusqu’à la tombée de la nuit, me nettoie aussi bien qu’il a nettoyé le jardin. Le lendemain, je me sens capable d’imaginer un espace où pourront se concilier l’activité et la détente, l’utile et l’esthétique, le fonctionnel et l’agrément. Et surtout, je me sens prête à faire les choix nécessaires pour la cohésion de l’ensemble.

Le plan ébauché s’enrichira de la collaboration de mon fils Pierre, alors étudiant à l’école d’architecture de Strasbourg. Cette expérience à l’échelle du site lui permettra de mettre à l’épreuve les théories apprises. Ensemble nous parlons de structure et d’ossature, de plein et de vide, de circulations, de séquences, de textures…

Le travail sur le terrain fera encore évoluer le projet : pelle et pioche en main, je sculpte ma terre, je crée des niveaux, des pentes douces et des terrasses.

La métamorphose s’opère au plus profond de l’hiver. Le squelette se dessine progressivement. Les gaulettes de châtaignier, « importées » du Limousin, sont tressées autour des carrés de terre, et déjà, ce qui en fait n’était qu’un champ, commence à ressembler à un jardin.

Une petite serre vient se coller aux abris à outils existants. Une cabane surélevée, baptisée « l’observatoire », est édifiée par Jean, le fils charpentier. Ce refuge, qui offre une vue plongeante sur les frises de légumes, permet de percevoir le dessin des plates-bandes conçu comme une mise en page, clin d’œil aux jardins à la française, admirés depuis le premier étage du château.

Une pergola envahie par les mûres et la vigne crée un fond derrière un grand bassin qui coupe la parcelle. Elle opère la transition entre le potager et le verger où s’alignent pommiers, poiriers et haies de fruits rouges

Au fond du terrain, une partie sauvage a été préservée un temps. Refuge pour la faune autochtone, elle était aussi une mémoire de l’ancien jardin créant un contraste avec la partie haute, fortement structurée. Peu a peu, cet espace évolue au fil de la croissance des bambous. L’influence zen s’impose et devient lisible à travers la création d’une rivière sèche et l’aménagement d’un passage surélevé en bois. Une fontaine qui jaillit au centre d’un carré de pavés invite à la méditation.

Partout l’accent est mis sur l’eau : eau bavarde, eau silencieuse, eau stagnante, eau qui ruisselle, eau qui purifie. Elle se décline aussi dans un registre emprunté aux jardins ouvriers. Une collection d’arrosoirs parade à côté des bassines en métal galvanisé qui recueillent le gargouillis des gouttières, le ruissellement des eaux de pluie et le purin d’orties. Une vieille baignoire trône à l’entrée du potager, le bassin reflète des images instables.

Des aires de repos s’organisent : des banquettes surdimensionnées soulignent la limite de propriété vers l’ouest, des bains de soleil s’offrent à proximité du bassin. Des crochets pour suspendre des hamacs sont mis en place, des chaises longues invitent à la détente sur le solarium.

Un pavillon sur pilotis d’inspiration japonaise accolé à un jardin de thé a trouvé sa place dans l’espace engazonné, entre un hêtre et un érable. Très discrètement, lanterne en pierre, fontaine d’ablution, arbres taillés en nuage et bonsaïs y soulignent l’esprit nippon.

Tout près, « Adam et Eve », une sculpture composée de deux blocs en grès contenant des anneaux et des bâtonnets, symboles masculins et féminins, nous rappelent que tout jardin renvoie à la quête du paradis perdu.

Textes choisis

Un parallèle entre jardiner et éduquer

Arrosoir
Arrosoir

Je vous partage un extrait du livre du Dr Catherine GUEGEN, « Pour une enfance heureuse », p. 317-318. Ce texte me touche en tant que jardinière et grand mère.

« Être jardinier est tout un art. C’est en même temps un savoir faire et un savoir être. Le jardinier aime la vie. Il veille sur la nature et prend soin d’elle. Il aime voir la nature croître, se développer, donner de la beauté.

L’être humain peut être le jardinier de sa vie et de la vie autour de soi. Le jardinier est patient, il sème, plante, connaît la nature du sol, les plantes qui se potentialisent et celles qui au contraire ne sont pas faites pour vivre ensemble. Il essaye, se trompe. Il est humble car il sait que le vie est dépendante du soleil, de la pluie, du vent et des maladies. Et quand enfin l’arbre, la plante, la fleur émergent, se déploient, il s’émerveille de leur beauté. Et quand rien ne pousse, il sait que la terre, l’endroit ne conviennent pas à ce qu’il a planté. Il sème de nouveau, ailleurs, en prenant le temps de comprendre ce qui est nécessaire à cette vie pour croître et se développer. Quand l’environnement convient à la plante, elle s’enracine profondément et croît.

Quand le terreau contient de l’amour inconditionnel, de la confiance, de la liberté, l’enfant grandit avec facilité, bonheur, ses racines sont solides pour traverser la vie. Le parent « jardinier » de son enfant est patient. Être adulte demande de très nombreuses années. L’enfant a besoin de beaucoup de temps pour se connaître, se comprendre, connaître et comprendre les autres, la complexité du monde, faire des expériences, se tromper, apprendre, essayer de nouveau, sentir en profondeur ce qui lui convient pour donner un sens à sa propre vie, croître, se développer et être heureux. »

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